Enfin un sucre possible pour les diabétiques...
Stevia, la plante sucrante étouffée en Europe
L’édulcorant, déjà testé par les géants du soda, est interdit par la législation de l’UE.
LAURE NOUALHAT
La «stevia rebaudiana» est cultivée et consommée en Amérique du Sud. (Jorge Adorno / Reuters)
Qu’est-ce qui a un pouvoir sucrant 200 fois supérieur au sucre, tout en affichant zéro calorie et qui pousse dans les forêts d’Amérique du Sud ? La Stevia rebaudiana.
Inoffensive en apparence, cette petite plante dispose de tous les atouts pour faire trembler le marché très prisé des édulcorants. L’une de ses applications industrielles est la feuille séchée réduite en poudre, à utiliser comme du sucre classique. Une autre est l’extraction des molécules qui donnent le goût sucré : les steviol, les stéviosides et les rebaudiosides. Le produit fini sert alors d’édulcorant.
Comme ses concurrents de synthèse, ses applications dans le gargantuesque monde du «light» sont innombrables : sauces, confiseries, boissons, plats cuisinés, produits lactés, pâtisseries… Les géants américains du soda ne s’y sont pas trompés et s’apprêtent à utiliser l’un des composés de la plante dans leurs boissons sucrées. Tandis qu’au Japon, elle est consommée depuis 1975, au point d’avoir raflé 40 % du marché des édulcorants. En France, elle est totalement méconnue. Et sa vente soumise à une régulation casse-tête.
Complément. En matière d’aliments, la législation européenne est indigeste. Et selon qu’on utilise la plante entière ou ses extraits, on ne tombe pas sous le coup de la même réglementation. Pour utiliser une plante en Europe, il faut qu’au moins un des pays de l’Union la consomme. Ce qui n’est pas le cas, la plante poussant en Amérique du Sud. «Stevia rebaudiana est un aliment qui n’était pas consommé de façon significative en Europe avant 1997. A ce titre elle dépend du règlement européen Novel Food, relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires. Elle doit faire l’objet d’une autorisation de mise sur le marché», explique-t-on à la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes. Ainsi, une plante utilisée depuis des millénaires par les Amérindiens est considérée comme nouvelle en Europe. C’est ce que dénonce Claudie Ravel, patronne de Guayapi Tropical, société spécialisée dans les plantes amazoniennes et condamnée début décembre pour «tromperie». Sa faute ? Avoir vendu de la poudre de feuilles comme «complément alimentaire à fort pouvoir sucrant». Cela fait dix ans que Guayapi Tropical souhaite enregistrer la plante comme complément alimentaire et non comme nouvel aliment. «Hors de question d’enregistrer cet ingrédient traditionnel dans la catégorie Novel food, dans laquelle on retrouve les OGM», dit-elle.
Autre obstacle majeur à sa commercialisation, les doutes sur l’innocuité de la plante. Les différentes autorités françaises et européennes ont argué de son potentiel contraceptif pour interdire sa mise sur le marché. Depuis quinze ans, les études contradictoires s’enchaînent. «En juin 2008, le comité d’experts de l’OMS a enfin défini une dose journalière admissible. Si la Commission européenne met des bâtons dans les roues de la stevia c’est parce qu’elle est achetée par le lobby du sucre», prétend Jan Geuns, professeur à l’université de Louvain et président de l’Association européenne de la stevia.
Limonadiers. Aux Etats-Unis, le 19 décembre, la Food and Drug Administration a, elle, donné son feu vert à l’usage d’un dérivé de la plante. Les multinationales Cargill et Merisant, qui fournissent les édulcorants à Coca-Cola et PepsiCo, avaient déposé une demande en ce sens. Les géants du soda devaient être très confiants sur l’issue de la procédure car leurs gammes de boissons light à base de stevia sont déjà prêtes. Début 2009, Coca dégaine son Sprite green et de nouveaux jus Odwalla, tandis que Pepsi dévoilera trois saveurs d’eau aromatisée ainsi que le Trop50, un jus d’orange affichant 50 % de calories en moins que ses concurrents.
Joël Perret ne dispose pas de la même force de frappe que les limonadiers yankees. Ce Français a créé la société Greensweet pour extraire les molécules sucrantes de la stevia, et les intégrer dans des produits transformés. Pensant qu’il s’agirait d’une formalité, l’entrepreneur a déposé une demande d’autorisation en 2006. Mais le premier avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments a refroidi ses ardeurs. A l’époque, l’organisme estimait que «le risque sanitaire de l’emploi de glycosides de steviol, extraits deStevia rebaudiana, en tant qu’édulcorant, ne pouvait pas être précisément estimé». En septembre dernier, un deuxième avis autorise l’usage de l’un des composés de la stevia, le rébaudioside A, mais uniquement celui-là. «Pourquoi cet avis ne peut-il être étendu à l’ensemble des extraits de la stevia ?» interroge l’entrepreneur dont la société est en stand-by depuis deux ans. Las, il prévoit de collaborer avec l’agroalimentaire suisse, pays où l’usage de tous les glycosides de la plante est autorisé depuis septembre.
En dépit des embûches, de nombreux initiés consomment la Stevia rebaudiana en cachette. On en trouve dans les rayons cosmétiques des boutiques bio, et même telle quelle en pot. «Elle est vendue comme plante d’ornement, mais officieusement, elle est consommée à la place du sucre», explique Patrick Merland, patron de la Maison du stevia, qui vend 4 000 à 5 000 plants par an. Certains pâtissiers ou cuisiniers la commandent sur Internet en provenance du Canada. «Les choses bougent, souligne Patrick Merland. La plante n’a pas changé, mais les gens qui déposent les dossiers, eux, ont changé.»Si Coca-Cola se met à la stevia, les barrages administratifs ne devraient en effet pas tarder à céder.
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